Grandchamp
Grandchamp recouvre les terres longeant le dernier kilomètre de l'Areuse ainsi que son embouchure dans le lac de Neuchâtel. C'est sur ce domaine, dépendant de la ville de Boudry, qu'est érigée une fabrique d'indiennes en 1808. Suite à sa faillite, la fabrique et ses dépendances (terrains compris) est acquise le 8 septembre 1840 pour 103'000.- par Claude Jean-Jacques II. L'inventaire du mobilier (chaudières, cuves, bonbonnes, cadres, maillets etc) recèle, entre autres utiles précisions: « une vieille vache ramelée rouge, un quartier de la tétine gauche de derrière passablement enflammé, indiquée par le valet d'écurie comme devant porter ».
En main des Bovet, Grandchamp sera habité et peuplé par leurs soins, après une courte tentative de poursuite du destin industriel. De huit personnes en 1850, la population du hameau passera ainsi progressivement à 200 en 1880 !
Hôpital, Etablissement, Andalouse, Aile, Amandier etc
Avec eux (parfois avant), les Bovet amèneront à Grandchamp les œuvres sociales qu'ils ont créées à Boudry, à savoir l'hôpital et l'« Etablissement » (orphelinat de filles et de garçons). Plus tard, d'autres institutions et leurs pensionnaires rejoindront celles et ceux déjà établis à Grandchamp.
Toutes ces institutions serviront à peupler les bâtiments issus de la fabrique d'indiennes et encore vides. Parmi ceux-ci la « cuisine des couleurs » sera dévolue à l'Asile (hôpital) ; les deux hauts séchoirs seront peuplés – respectivement ! – des pensionnaires de l'Etablissement des garçons et des filles protestantes venues d'Andalousie (d'où son appellation) ; d'autres bâtiments abriteront les domestiques (notamment le jardinier-chauffeur) de la famille durant plusieurs générations.
Aujourd'hui, les divers bâtiments précités ont presque tous échu à la Communauté de Grandchamp.
L'Asile
A la Fabrique de Boudry où elle a suivi son mari Philippe, Bertha née Mumm (1813-74) ressent vite le besoin de participer à l’amélioration de la vie des habitants moins privilégiés de sa ville d’adoption. Un projet germe auprès de Bertha et de Philippe: la création à Boudry d´une maison de diaconesses.
En fait de quoi, c´est un hôpital – l´Asile – qui sera fondé à Boudry et inauguré le 9 août 1842. Cet hôpital, tenu par 3 sœurs aidée d´un médecin, sert à soigner les pauvres et peut contenir 10-12 malades (jusqu´à 16 en temps de crises) : en quatre années, pas moins de 171 malades y seront soignés. Selon leurs disponibilités, les malades contribuent à raison de 5 batz (CHF 0.70) par jour aux frais qu’ils occasionnent. Une seconde, puis une troisième maison seront peu à peu ajoutées à la première, qui lui permettra d’accueillir, dès 1849 et toujours à l´instigation de Bertha, un petit groupe d´orphelines. C’est le début de l’Etablissement.
Suite à l´acquisition par son beau-père de la fabrique de Grandchamp en 1840, Bertha s´éprend de l´endroit. Les locaux de l´ancienne fabrique seront progressivement investis par les œuvres fondées par Bertha à Boudry. L’Asile investit le bâtiment qui lui est dévolu – qui abritait auparavant la « cuisine des couleurs » – après quelques aménagements nécessaires par une grande fête le 6 mai 1856. Cinq semaines après, sa directrice décède de la fièvre typhoïde et Clara (fille de Bertha) décide sans hésitation – à l’aube de ses 19 ans – de se consacrer à sa direction. Ce qu’elle fera avec autant d’ardeur – voire de brusquerie ! – que de réussite, décidant par son engagement ses parents à venir eux aussi s’établir à Grandchamp.
Les médecins qui se dévoueront aux malades de l’Asile – le plus souvent en plus de leur cabinet privé – seront chronologiquement : Fritz Böger, médecin du Roi de Prusse (entre 1844 et 46), Jules Mercier d’Uxkull (1847-72), Auguste (1872-1915) et Pierre Beau (1915-1935).
L’Asile sera fermé en 1935 après près d’un siècle – 93 années précisément – d’activité.
L'Établissement
Dès 1849, on l'a vu, l'Asile accueille un petit groupe (quatre d'abord, puis huit, puis douze) d'orphelines neuchâteloises et allemandes. On attribue aux pensionnaires une institutrice qui dort dans la chambre attenante à leur dortoir. Les orphelines de l'âge des filles de Bertha jouiront de contacts réguliers avec celles-ci et profiteront notamment des enseignements de leurs précepteurs. Les autres suivent l'école de Boudry.
En 1850, une nouvelle maison est louée pour accueillir des garçons. Ceux-ci seront vite transférés (les premiers, en 1851) dans un des bâtiments de l'ancienne fabrique de Grandchamp. Ils ne seront rejoints par les filles que lors du transfert de l'Asile en 1856. Cet orphelinat mixte – où la séparation filles-garçons sera assurée par des dortoirs éloignés et quantité d'autres mesures de précaution ! – sera appelé l'Etablissement. Il contient 10 filles et douze garçons en 1856. L'éducation des enfants est assurée par un directeur éducateur établi à Grandchamp. Elle est complétée par les cultes et autres enseignements divulgués par les membres de la famille Bovet – Félix pour la géographie et l'histoire (il rentre de voyage en Terre Sainte), Clara pour le dessin, puis Anne (épouse de Théophile) pour les leçons de chose et Jean pour la littérature – ou leurs hôtes de passage : suite aux récits d'un missionnaire, les filles décident de donner leur argent de poche « pour la conversion des petits noirs ». Des apprentissages sont organisés pour les plus âgés, comprenant à la fois les travaux de la terre, l'horlogerie et la filature (implantée à Grandchamp de 1855 à 1891).
Les liens entre pensionnaires et membres de la famille Bovet – installés à Grandchamp dès 1856 – s'étendent au-delà de l'enseignement : les fêtes célébrées ensemble sont l'occasion de distributions de cadeaux gourmands et Pâques voit une montagne d'œufs – on parle de 36 douzaines ! – teints et échangés. Les enfants de l'Etablissement et de la famille sont également associés lors de l'élaboration de pièces de théâtre – en costumes d'époque avec décors et figurants ! – telles Athalie (Racine) ou Guillaume Tell dont les représentations resteront gravées dans les mémoires. Ces liens s'enracineront avec la reprise, en 1860 suite à leur mariage, de l'Etablissement par Félix et Hélène qui, installés à Grandchamp, associeront leur vie quotidienne à celle de l'Etablissement et y intégreront leur fils Pierre comme élève externe. Ces liens culmineront avec le mariage, en 1903, de Jean (fils aîné de Félix et Hélène) avec Mathilde née Lüthi, ancienne pensionnaire avec son frère de l'Etablissement.
Les directeurs qui se succéderont à l'Etablissement seront chronologiquement : Alphonse Bonjour (1851-56), E. Gavin (1856-59), Ulrich Gubler (1860-75), Fleury Humbert-Droz (1875-92). Quant aux filles, elles seront successivement dirigées par Clara (1856-59), puis par Hélène Bormann (1859-69), une des premières pensionnaires, qui épousera Ulrich Gubler et sera remplacée par Elise Hirschi (1869-1910) qui restera 58 années à Grandchamp. En 1910, l'Etablissement – où il ne reste que des filles depuis 1892 – sera repris par Jean et Mathilde ; il sera fermé en 1915, suite au décès de Jean (fin 1913), après 66 années d'activités.
Par la volonté de Mahilde, l'Etablissement sera mué en une pension d'été pour anciennes élèves, qu'elle animera avec entrain, secondée par Paul, entre 1919 et 1935.
La Ferme
Antérieure à la fabrique d'indiennes, la Ferme de Grandchamp a probablement vu le jour au XVIIIe siècle, alors unique bâtiment loin à la ronde. Son rôle dans la fabrication des indiennes est essentiel, puisque la bouse de vache est utilisée comme ingrédient principal dans l'indiennerie afin de fixer les couleurs ! Au vu des quantités produites par Grandchamp durant les années fastes, on peut même deviner que la ferme abritait alors une vingtaine de ruminants au minimum…
En 1927, Marc décide de se vouer au travail de la terre et convainc son père Pierre de lui affermer la ferme et les terres (principalement des champs, ainsi que quelques vignes sur le coteau d'Areuse) qui en dépendent. La Ferme subit à cet effet de profondes transformations, visant à accroître d'une part son rendement et d'autre part le confort de ses habitants. La Ferme voit ses activités paysannes fortement réduites suite au décès accidentel de Marc en 1948 et ne sera plus dès lors que partiellement allouée aux travaux de la terre. La Ferme a subi de nouvelles transformations en 2002 lorsque Claude et Marie-France ont décidé d'y emménager, suite à la retraite de Claude.
La Grande Maison
Dans le bâtiment principal de la fabrique, les Bovet installent des appartements d'habitation, dont le premier sera pour Félix et Hélène qui s'y installent dès leur retour de voyage de noces, en 1860. Pièce maîtresse de cet appartement, la bibliothèque permettra d'abriter des milliers de volumes appartenant à Félix. D'autres appartements d'envergure seront installés dans le bâtiments, en 1910 pour Jean et sa femme ainsi que pour Paul et sa famille.
Un siècle et demi plus tard, la «Grande maison», après bien des transformations, abrite encore des descendants de Philippe et de Bertha. Les usagers les plus nombreux de ses locaux sont cependant les sœurs de la Communauté de Grandchamp, qui, depuis 1936, ont acquis également plusieurs autres bâtiments issus de la fabrique d'indiennes.
Le Chalet
Lorsque Philippe et Bertha se transportent à Grandchamp en 1856, ils s'installent temporairement dans la Grande maison tout en faisant installer sur le terrain devant elle un bâtiment entièrement construit en bois qui sera appelé le Chalet. L'érection du Chalet est particulière, en ceci qu'on construira la maison en partant des pièces principales dressées en premier, le salon et la salle à manger : pièces attenantes, étage supérieur mais également les caves ( !) seront construites après.
A son inauguration le 3 juillet 1858, l'on comptera 54 invités dont Mme Mumm qui a fait le voyage de Francfort. En sus des prières et des speechs, des vers seront déclamés, des chants seront entonnés par les enfants de l'Asile, des feux d'artifice seront tirés (par Arnold, âgé alors de 15 ans) et des glaces (« de Manuel ») seront même servies !
En 1961, le Chalet a été détruit en raison de son état et remplacé par une villa moderne.